Savoir Caresser une Idée
Pour qu’Elle se Traduise en Acte
 
 
Jean des Vignes Rouges
 
 
 
 
Le livre de Jean des Vignes Rouges, édition 1945
 
 
 
Dans un grand nombre de cas, l’acte de vouloir consiste tout simplement à installer une idée au centre  de sa conscience et à attendre sa réalisation automatique.
 
En effet, comme l’a établi d’une manière indubitable la psychologie contemporaine, la «représentation mentale», c’est-à-dire l’image, l’idée, la pensée n’est qu’une phase de  l’acte. Nous voyons un grain de poussière sur notre manche, cette image déclenche immédiatement la chiquenaude qui chasse l’importune débris.
 
Je ne reproduirai pas ici les expériences et raisonnements qui ont établi cette action «idéo-motrice». Il suffit que vous reteniez cette vérité : «l’idée incline à l’acte», selon la formule qu’Antonin Eymieu a développée avec précision et clarté, dans ses beaux livres sur l’éducation de la volonté. Vous ne pouvez pas évoquer une idée, un mot sans qu’il y ait, dans tout votre corps, des frémissements imperceptibles qui commencent l’acte auquel cette idée, ou ce mot, sont associés.
 
Dans ces conditions on conçoit que l’idée, bien installée dans notre conscience, maintenue solidement, arrive à la réveiller automatiquement les actes qui lui correspondent, si toutefois notre organisme est préparé à les accomplir, car il arrive qu’en combinant des idées d’actes nous en inventions qui dépassent nos possibilités matérielles. C’est ainsi qu’il ne suffit pas d’avoir l’idée de visiter la lune pour être projeté réellement vers cet astre.
 
Comment installe-t-ton une idée en sa conscience? En faisant attention. Comment fixe-t-on l’attention? En lui donnant en pâture une idée qui spontanément et immédiatement l’intéresse; ou bien en lui proposant unie idée qui sera un moyen pour atteindre un but attirant mais plus éloigné.
 
C’est ce second procédé que vous appliquez en ce moment en lisant ce livre. Vous le jugeriez peut-être assommant si vous n’aviez pas le désir de cultiver votre volonté ; mais il captive (j’ose l’espérer) votre attention parce que sous les phrases parfois rébarbatives, que je vous invite à lire, vous comptez trouver le moyen de vous perfectionner.
 
Eh bien, ce mécanisme de l’attention est celui que vous devez mettre en action à chaque instant pour vouloir. Il faut que vous inventiez l’intérêt qui vous forcera à faire attention. Au saut du lit votre journée commence. L’idée d’une corvée, à accomplir dans la journée pénètre tour à coup dans votre esprit avec une sale figure morose. Votre premier mouvement est d’écarter cette importune vision. «N’y pensons plus! Dites-vous!» Lâcheté! Si cette corvée est réellement utile, si elle doit mieux vous adapter à la vie, il faut au contraire empêcher l’idée qui la représente de filer de votre conscience. La situation réclame de vous an acte d’attention.
 
Si vous êtes courageux vous vous forcerez à répéter: «Je dois faire cette corvée!»  C’est déjà un bon mouvement. Mais ce n’est pas assez, par si l’idée de la corvée conserve son  lugubre visage, l’attention  se lassera vite de la regarder. Après quelques instants, vos exhortations mentales deviendront machinales et subitement vous vous apercevrez que votre attention a filé; elle flirte avec des idées plus plaisantes.
 
Pour la fixer, débarbouillez donc cette image si désagréable de la corvée. Examinez-la plus attentivement en vous efforçant d’y découvrir des attraites insoupçonnés. Vous y arriverez assez facilement si vous appelez à la rescousse tous les intérêts qui sont en jeu dans la circonstance. Ils sont nombreux. Les uns sont menacés par la non-exécution de la corvée, les autres, alléchés par sa réalisation. Ils se présentant et réclament leurs droits. Voilà l’idée qui s’accroche. Si vous arrivez à lui faire prendre racine, tout est sauvé. L’idée de corvée que vous aviez acceptée par mariage de raison deviendra une épouse parfaite. Elle fera le ménage sans grincher et vous rendra heureux. Autrement dit, l’idée réalisera automatiquement ses effets moteurs, simplement parce que vous aurez su la charmer, la retenir au centre de votre conscience.
 
Peut-on entraîner son attention? Oui. En s’habituant à prévoir les conséquences des idées que l’on désire fixer en sa conscience. Pratiquement cela consiste à se poser des questions à propos de l’idée qu’on veut installer en soi. Les interrogations forcent l’imagination à se mettre au service de l’attention.
 
Chaque foi donc qu’une «bonne idée» – une des celles qui doivent vous grandir – passe dans votre conscience, efforcez-vous de la retenir, caressez-la pour qu’elle ne s’en aille pas.
 
Qui va se livrer à ce plaisant travail? Votre imagination! C’est son métier. Pour qu’elle le fasse, asticotez-la en lui posant des questions. Par exemple, celles-ci. Si cette «bonne idée» se réalise, qu’est-ce que je verrai, j’entendrai, je flairerai, je toucherai? Qu’est-ce que je mangerai, boirai? Insistez pour que votre imagination vous montre, aussi concrètement que possible, dans les brumes de l’avenir, un homme qui se frotte les mains de  satisfaction, qui rit, qu’on félicite et qui est bien content. Ce personnage, c’est vous.
 
Ah! Combien ces images piquent, captivent votre attention! Que de cordes sensibles vibrent en vous! Plus besoin de vous raidir pour retenir la «bonne idée». Elle est là, magnifiquement installée dans votre conscience. Cent autres idées secondaires se sont mises à son service. Vous n’avez qu’à les laisser faire. Vous «voudrez»  réaliser la «bonne idée» sans même vous en douter. Votre attention aura suffi à tout.
 
Alors vous comprenez maintenant que si vous aviez dressé votre attention à s’accrocher aux intérêts secondaires, éloignées, vous seriez capables d’accomplir sans rechigner bien des actes qui vous eussent rebuté au premier abord. C’est pourquoi vous  apprendrez la géométrie, le maniement de la varlope, de la charrue, le nettoyage des casseroles avec plaisir parce que votre attention, en accomplissant ces opérations, sera fixée sur l’heureux géomètre, l’adroit menuisier, le bon laboureur ou le fameux cuisinier que vous serez un jour.
 
Cependant, nous dit le grand psychologue américain William James, principal théoricien de la volonté acquise par la fixation de l’attention, il est des cas où l’idée à accrocher dans la conscience est, en soi, si désagréable que l’attention, même fouettée de toutes les manières, refuse de s’en emparer, mieux même, elle cherche à la vomir. Alors, dans ce cas, l’effort s’impose. L’idée qui épouvante ou paralyse l’imagination, il faut la maintenir en sa conscience coûte que coûte. Le devoir est alors de marcher dans le sens de la plus grande résistance. Où trouver la force de consentir, malgré tout, à la présence de ces représentations mentales effarantes? C’est le mystère du «fiat» – cet acquiescement muet de notre volonté, ce roidissement des fibres de notre cœur qui nous fait dire devant le devoir le plus austère, le plus pénible, le  plus dangereux: «Oui, je veux qu’il en soit précisément ainsi!»
 
Là nous constatons une fois de plus que la volonté jaillit des profondeurs secrètes de notre personnalité, de ses forces mystérieuses qui propulsent la mécanique de notre corps, de notre âme enfin.  
 
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Le texte «L’Attention et la Volonté» est reproduit du livre «Dictionnaire de la Volonté», de Jean des Vignes Rouges, Éditions J. Oliven, Paris, 320 pp., 1945, pp. 33-35. Titre original: «Attention – Savoir caresser une idée pour qu’elle se traduise en acte». L’article  a été publié sur les sites Internet de la Loge Indépendante des Théosophes le 11 septembre 2023.
 
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